Presto Fortissimo
De nos jours, les pianistes de concert sont tenus de réaliser d'excellentes performances athlétiques. En particulier lors des concertos de piano, les pianistes flirtent souvent avec les limites de la force des doigts et de la mécanique des pianos de concert. Le physicien et pianiste amateur Antoine Letessier- Selvon vise à repousser ces limites, à l'aide d'un moteur linéaire de FAULHABER.
Vous êtes un spécialiste bien connu de la physique des particules et de l'astrophysique et travaillez principalement dans le domaine de la recherche de pointe. D'où vient votre intérêt pour la pratique du piano ?
Avant de me lancer dans la physique, mon ambition était de devenir pianiste de concert. Mes enfants font du piano et nous avons un piano à queue au milieu de notre appartement. Cet instrument nécessitait quelques ajustements, et c'est comme ça que j'ai rencontré Laurent Bessières, l'accordeur de piano de la Philharmonie de Paris. Nous avons parlé de la mécanique des pianos et il m'a demandé, en tant que physicien, s'il y avait un moyen de donner plus de force à la frappe.
Pourquoi la frappe doit-elle être plus puissante ?
Lorsque Mozart et Beethoven interprétaient leurs concertos pour piano, leur public se composait de quelques centaines de personnes au maximum. Aujourd'hui, les salles de concert peuvent accueillir jusqu'à 2 500 visiteurs. Les orchestres sont également plus grands et jouent plus fort. La mécanique du piano est quant à elle restée pratiquement inchangée depuis plus d'un siècle. Les limites de la physique sont atteintes, en particulier pour les passages rapides très forts ou très doux. Le pianiste est tout simplement incapable de varier la tonalité au-delà de ces limites.
Qu'est-ce qui définit ces limites ?
Même avec le plus grand entraînement, c'est la limite naturelle de la force que les doigts peuvent exercer. De plus, la mécanique du piano obéit aussi aux lois de la physique. Les éléments les plus importants à cet égard sont tout d'abord la course de la frappe de la touche, puis le rapport de levier avec lequel cette course est transmise au mouvement du marteau, et enfin le poids du marteau. La frappe a d'ailleurs été étendue au fil du temps, d'environ sept millimètres à un centimètre. Il n'est pas possible d'aller au-delà, sinon le pianiste ne serait plus capable de jouer des passages rapides. Le rapport de levier de cinq est généralement invariable pour des raisons de conception. Enfin, avec un poids de dix à douze grammes, le marteau a également atteint sa limite. Un poids supérieur nuirait à l'inertie du jeu.
Dans quelle mesure les limites peuvent-elles être repoussées ?
L'idée est de rendre la génération du son entièrement indépendante de la frappe et d'introduire à la place une source de puissance mécanique. C'est ce que j'ai proposé à Laurent Bessières et nous avons commencé à faire des recherches dans ce sens-là. J'ai finalement découvert sur Internet le moteur linéaire LM 1247 de FAULHABER après avoir fait le tri entre d'innombrables modèles inadaptés. L'entraînement est très puissant et possède les dimensions idéales. Sa largeur correspond précisément à celle d'une touche de piano ! Quelques millimètres de plus ou de moins n'auraient pas posé de problèmes, mais des détails comme celui-ci vous donnent le sentiment qu'il s'agit de la solution parfaite.
Que s'est-il passé ensuite ?
Ces dernières années, nous avons pu lancer un projet de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique. En tant que directeur de recherche au CNRS, j'ai accès à d'éminents spécialistes en lectronique et en mécanique qui peuvent contribuer largement à faire de notre idée une réalité. D'ailleurs, je suis sûr qu'ils m'auraient dit immédiatement où trouver le bon moteur, si seulement je leur avais demandé. Nous avons également la chance de pouvoir compter sur le soutien du facteur de piano Stephen Paulello, bien connu dans sa branche pour ses innovations extraordinaires et qui nous aide à bien des égards.
Comment cela fonctionne-t-il d'un point de vue technique ?
Nous fixons un capteur d'accélération sur le manche du marteau qui bouge suite à la pression exercée sur la touche de piano. Il enregistre très précisément le mouvement de la frappe en termes de force et de vitesse. Son signal est transmis par la commande électronique à un moteur linéaire. Le moteur à son tour convertit le signal en mouvement du marteau avec une très grande précision. Le marteau est situé sur l'axe du moteur, au même endroit sous la corde, comme pour la mécanique traditionnelle. J'aimerais préciser que nous n'avons nullement l'intention de concevoir un piano mécanique qui joue tout seul - cela existe déjà. Ces pianos produisent du son, mais pas de la vraie musique. Notre objectif est plutôt d'aider le pianiste et de lui offrir de nouvelles possibilités. L'artiste garde pleinement le contrôle du son. C'est ce qu'on appelle un piano assisté.
Quels sont les avantages de cette assistance ?
La source externe d'énergie nous permet de modifier quelques éléments. Le poids du marteau peut facilement être porté à cinquante grammes ou plus. Un marteau plus lourd produit plus de volume et il peut déclencher une plus grande variété d'harmoniques grâce à la force accrue. Nous pouvons modifier dynamiquement le rapport de levier entre la frappe et la course du marteau, par exemple en ajoutant une quatrième pédale, ce qui augmenterait ou réduirait la force du « bras de levier », c'est-à-dire du moteur. Cela offre au pianiste de toutes nouvelles possibilités s'il souhaite jouer des passages extrêmement rapides de façon très douce ou très forte. Nous pouvons adapter la course des touches aux préférences de l'artiste. Un accordeur de piano peut remplacer tous les marteaux en dix minutes environ, pour les adapter aux besoins du pianiste. Avec une mécanique conventionnelle, une telle reconfiguration demanderait plusieurs heures de travail.
N'y a-t-il pas un décalage entre la frappe et le son en raison de l'interposition du capteur, de la commande et du moteur ?
En fait, c'est tout le contraire. La mécanique conventionnelle est confrontée à une inertie considérable. Lorsqu'on joue doucement, par exemple, le marteau bouge d'environ 0,5 mètre par seconde ; ce nombre est décuplé pour un fortissimo. Ce facteur dix n'est pas un problème pour le pianiste. La frappe de touche en elle-même prend environ dix millisecondes lorsque l'on joue très rapidement, et donc encore plus de temps lorsque l'on joue lentement. Le temps de réaction du moteur sera nettement inférieur à dix millisecondes, probablement même inférieur à une milliseconde. La réaction de notre électronique est également de l'ordre de la microseconde. FAULHABER a mesuré l'intervalle le plus long dans notre système, qui correspond au délai entre l'émission de courant par le contrôleur et l'absorption de courant par le moteur. Cet intervalle est de l'ordre de quelques centaines de microsecondes, soit bien moins qu'une milliseconde. Je suis certain que le pianiste ne percevra aucun décalage.
Où en êtes-vous à présent dans le projet de recherche ?
L'an dernier, nous avons démarré avec un monocorde, c'est-à-dire une corde unique, afin de vérifier la faisabilité de la technologie. Depuis lors, nous avons la certitude d'avoir trouvé le bon capteur d'accélération et le bon moteur. FAULHABER a développé une commande orientée vers l'accélération qui convient mieux à l'instrument que le contrôleur de vitesse traditionnel. Nous sommes actuellement en train de mettre au point les détails de la mécanique assistée. Notre objectif d'ici le mois de juin est de couvrir une octave, c'est-à-dire 12 notes. Lorsque nous y serons parvenus, nous équiperons l'ensemble du piano à queue de la mécanique assistée. Nous espérons pouvoir donner le premier concert l'année prochaine.
Quelle est l'importance du moteur pour le projet ?
Sans lui, nous n'aurions même pas pu commencer. Il y a quelques années encore, il n'existait aucun moteur présentant les caractéristiques de performance dont nous avions besoin. Le moteur doit être très puissant malgré ses faibles dimensions, accélérer extrêmement rapidement et pouvoir être contrôlé avec une haute précision. Malgré tout cela, il doit fonctionner de manière parfaitement silencieuse. Seul le développement des aimants permanents au néodyme ces dernières années a rendu un tel moteur possible, et bien sûr aussi le travail de développement effectué par FAULHABER.